Jean, l'aspirant traileur : Montan' Aspe 2017


Gab n'aimait pas du tout venir ici. Les flammes, les cris, les cornes sur les fronts, les peaux rouges, les queues fourchues, les fourches pointues, il trouvait ça un peu kitch et ne faisait le déplacement que contraint et forcé. Les délicates plumes de ses ailes commençaient à roussir, les gouttes de sueur perlaient sur son front.
- Salut Bébel !
- Salut Gab ! répondit l'autre. Quelle surprise ! Pas souvent qu'on te voit descendre ici. Qu'est-ce qui t'amène ?
- C'est à dire que… fit l'ange, un peu gêné. C'est l'autre là… Jean… J'ai tout essayé. La pluie, la boue, les orages, le froid. Mais rien n'y fait. Il continue de courir et surtout, il se moque de moi après dans ses écrits. Il est pas gentil. Il fait qu'à m'embêter.
- T'inquiètes pas, mon petit Gabinou, je vais m'en occuper de ton vilain aspirant traileur, répondit Bébel en se lissant la barbichette pointue, le sourire en coin.

Jean avait atteint le Pic de Teulère.
- Vous ne dites rien, les jambes ? demanda-t-il, un poil moqueur. On l'a plutôt bien géré non, ce kilomètre vertical ?
- 1100m… répondirent les deux guibolles en serrant les dents. C'est pas des prix Nobel de maths dans la vallée d'Aspe.
- Jamais heureuses, fit Jean dans sa barbe, préférant mettre fin à la conversation.

La vue était magnifique et il s'était arrêté quelques instants pour en profiter. Il ne se sentait pas trop mal et il lui semblait qu'il était plutôt bien dans son projet de course qu'il souhaitait faire comme un entraînement, non un objectif. Certainement une première erreur.

- Bon, on descend ou on plante la tente ? fit Jean.
- Ok, ok… répondirent les jambes sans enthousiasme.
- Vous avez la trouille ?
- Tu te rappelles pas quand on l'a faite en rando, il y a quelques mois ? Elle avait l'air bien technique, bien raide, non ?
- Ouais, mais bon, on est là maintenant, alors faut bien la faire.
- Ben fallait pas monter… répondirent les jambes.

Jean s'élança et, après avoir passé le premier ravitaillement et franchi le plateau d'Ourdinse, il attaqua la descente tant redoutée. A sa grande surprise, il la fit sans crainte, en se laissant aller. Juste du plaisir.

La température de l'air commençait à monter. Fortement.

Jean s'engagea sur une longue partie en faux plat, entrecoupée par une nouvelle montée, qui devait l'amener au village d'Aydius. Chaque respiration devenait de plus en plus chaude, la fatigue s'installait doucement. Jean tenta de gérer la chose, alternant marche et course. Pas terrible, mais il avançait.

Le petit traileur atteignit le village où se trouvait un nouveau ravitaillement. En plein soleil. Il avala du liquide comme il put, mangea peu, tenta de prendre son temps. Mais la fatigue ne passait pas.

La température de l'air devenait étouffante. C'était l'enfer.

- Oulà, c'est bien ça, fit Gab avec un petit sourire.
- Oui, oui, je suis plutôt content de moi, répondit Bébel. J'ai un peu monté les radiateurs.

Une pensée fugace d'abandon traversa l'esprit de Jean.
- Jamais ! Plutôt mourir ! s'écria le bulbe rachitique.
- Euuuuh… on va redescendre sur terre, là, firent les jambes et l'estomac. On va peut-être pas aller jusque là, c'est qu'une course.

Jean repartit, sans grande conviction. Il s'attaqua à la dernière montée, heureusement en grande partie en sous-bois.

- Hé oh ! Ca suffit là-haut ! s'écria l'estomac. C'est complet ici ! On veut plus rien.
- Mais il faut que l'on s'hydrate, s'insurgea le bulbe rachitique.
- Ok. Sécurité ! Virez-moi tout ça ! Hop ! Hop ! Tout le monde dehors !
- On voudrait bien, mais ils sont pas d'accord, là-haut, répondit le chef de la sécurité.
- Alors, on prend plus rien. Fermez les portes, fit l'estomac.

Jean n'avançait plus, la machine n'avait plus de jus. Chaque pas était une lutte. Venir avec juste de l'eau pure dans son camelbak, sans rien à grignoter en cours de route, en se basant juste sur les ravitaillements, n'était sûrement pas une bonne stratégie. Il s'arrêta une nouvelle fois. La troisième sur cette montée ? Ou la quatrième ? Ou bien la cinquième ? Il ne savait plus. Mais c'était trop, et surtout, cela ne servait à rien car la machine ne redémarrait pas.

21km, 1800m de grimpette. Jean regarda le petit panneau. Col de Bergout, 3,5km. Encore 200m à monter. Et une longue descente. Mais surtout, plus rien, plus d'envie, plus de force.

Jean était allongé. Le bulbe rachitique posa son diagnostique.
- Fracture de mental, fit-il avec une tête de dépit. Je suis désolé. Je peux rien faire de plus.
- Il va s'en sortir ? demanda le cœur.
- C'est trop tôt pour le dire, il va falloir attendre un peu.

Jean entra dans la voiture, la tête basse, le moral éclaté, l'égo massacré. Les bénévoles déposèrent Jean à l'arrivée. Il retrouva Phil le Nonchalant et P'tit Doc qui étaient arrivés depuis quelques temps déjà. Ils avaient fait une belle course, un temps impressionnant, à jamais inaccessible pour Jean.
- Faudrait déjà franchir la ligne d'arrivée… ironisèrent les jambes.

Deux autres amis du club, Fred Ramram et Stef Namasté, arrivèrent ensemble. Fatigués, ils étaient allés jusqu'au bout. Certes, ils avaient de l'expérience, des trails bien plus longs dans les jambes et ils préparaient la Diagonale des Fous. Jean les respectait, espérait pouvoir un jour faire comme eux. A son niveau. Il regardait avec envie tous les coureurs qui arrivaient au compte-goutte, peu importait le temps mis, ils arrivaient.

- Je reviendrai ! s'écria Jean.
- Nous aussi, firent Bébel et Gab dans un grand éclat de rire.

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